top of page

Quand l'achat d'un matelas vire en arrêt de travail à long terme (suite et fin)

Dernière mise à jour : 19 août 2021


Je suis étendu sur une civière dans un corridor de l'urgence de l'hôpital de Joliette. Une seule position est tolérable : sur le dos. Et ça me prend absolument un oreiller sur lequel déposer mon bras gauche pour qu'il ne pende pas dans le vide et pour que l'épaule soit à la même hauteur que mon torse.


Il est 8h et il me reste 8% de batterie sur mon cell. Je ne me sers de mon téléphone que pour constater le temps qui passe.


Je devrais voir un orthopédiste bientôt, mais personne ne vient vérifier que je suis correct. Je vois plusieurs employé.e.s passer, mais personne ne s'arrête. Personne ne semble me voir. Je les comprends, moi aussi j'aimerais disparaître. Je suis si fatigué et j'ai si mal.


Le temps passe. Je n'ai rien mangé depuis les quelques bouchées de saucisson la veille. Je n'ai pas été aux toilettes non plus. Je commence à sentir le besoin d'évacuer. Je prends mon mal en patience en me disant que je vais voir l'orthopédiste bientôt, que ça pourra juste mieux aller après et que ce sera plus simple de manger et faire mes ablutions après.


Mais c'est long. Il est rendu 10h. J'ai de plus en plus l'impression qu'on m'a oublié.


À quelques mètres de moi, une employée suit une formation en ligne sur comment agir avec les personnes autochtones. À chaque collègue qui passe à côté, elle pèse sur pause et lui dit qu'elle suit cette formation. Son ton me donne l'impression qu'elle trouve ça totalement inutile. J'espère me tromper, car c'est pourtant ici que Joyce Echaquan est décédée et a été maltraitée.


J'ai hâte de sortir d'ici. Même si j'ai l'immense privilège d'être blanc, je me sens de moins en moins bien. Et la batterie de mon cellulaire qui continue à baisser... Je ne sais même pas si je pourrai prévenir quelqu'un pour qu'on me ramène à la maison...


J'accoste donc une employée et demande pour aller aux toilettes. Quelques minutes plus tard, une préposée aux bénéficiaires arrive et souhaite m'aider, mais ne semble pas trop savoir comment y parvenir :

- Je ne veux pas te faire mal... Qu'est-ce que je peux faire?

- Ouin, je ne sais pas trop non plus, je n'ai jamais été aussi peu mobile et autant en douleur.


On finit par y arriver, je fais mes besoins. On me rembarque, non sans peine, sur la civière. Je demande quand je pourrai voir l'orthopédiste. Une infirmière vient me voir et me dit que je serai déplacé là-bas bientôt.


ree

(Crédit photo: Pxhere)


Bon, ça progresse. Demandez et vous aurez? C'est quand même spécial... Je ne suis vraiment pas habitué dans les hôpitaux, alors malgré que je trouve le fonctionnement étrange, je me dis que c'est de même que ça marche. J'exprime dès lors tous mes besoins quand c'est nécessaire.


On me déplace dans une salle d'attente. Je finis par voir l'orthopédiste :


- Bonjour monsieur Tremblay, j'ai regardé vos scans...

- Oui?

- Il y a une fracture de l'humérus, mais ce n'est pas tout.

- Ah?

- Je ne suis pas un spécialiste, mais je vois des choses étranges sur votre os. La meilleure façon de l'exprimer, c'est de dire que c'est comme si votre os avait des trous.

- Ok...

- Votre os est très fragile et je me demande ce qui peut causer ça. Comme je vous dis, je ne suis pas un spécialiste... Vous êtes de la région ici?

- Non, je suis de Montréal.

- Ok, je vais contacter le Dr. Turcotte à l'hôpital Royal-Victoria pour lui parler de ça. Je vous reviens.


Je retombe donc en mode attente et je ferme les yeux. J'ai si peu d'énergie. C'est peut-être tant mieux, mon cerveau ne peut pas spinner sur la conversation que je viens d'avoir. Je me repose. L'orthopédiste revient :


- Bon, j'ai parlé au Dr. Turcotte et il trouve ça étrange lui aussi. Il vous appellera demain.


En effet, c'est louche. Ça n'a pas été long avant de me dire que je n'étais pas au bout de mes peines.


Parce que le beau Balou ne m'a pas touché. Pas de coup, pas de morsure, rien. Je ne suis pas tombé. Juste un faux mouvement brusque de ma part pour éviter sa tête. Comment un faux mouvement peut provoquer une fracture? Je ne m'y connais pas en biologie ou en médecine, mais je suis capable de dire que ce n'est pas normal tout ça...


L'orthopédiste me donne une attelle qui s'attache à la taille et qui soutient le bras. Il me signe aussi un arrêt de travail de 3 mois. Je ne me doutais pas que ma journée de congé pour initialement réceptionner un matelas mettrait fin à mon année scolaire! Mais ce n'est pas si mal, que je me dis, au moins je serai prêt pour la prochaine rentrée. (Scoop : non, je ne serai pas prêt.)


On me ramène dans le corridor de l'urgence et je ne sais pas trop ce qui m'attend... Je demande à l'infirmière et elle me dit qu'ils sont en train de préparer mon départ de l'hôpital. Je regarde mon cellulaire pour appeler mes parents pour qu'ils viennent me chercher. Évidemment, pu de batterie! Heureusement que les lignes fixes existent encore... J'appelle mes parents, pas de réponse. J'appelle mon bro Guillaume, à qui je n'ai pas parlé depuis 2 jours, ce qui est beaucoup considérant notre proximité :


- Salut dude, c'est Séb.


Je précise car j'appelle sans doute d'un numéro inconnu.


- Yo, comment ça va mon Séb? Ça fait 2 jours qu'on ne s'est pas parlé.


Ce qui, dans notre cas, est très rare.


- Non justement, ça ne va pas...


On se rappellera de cette conversation toute notre vie. C'est compliqué pour lui de venir me chercher, je tente donc de rejoindre mes parents une seconde fois. Je réussis et je finis par revenir en ville vers 21h. Enfin! Je mange et regarde toutes mes conversations Messenger ratées depuis plus de 24 heures... Je suis subjugué par mon autre bro Pascal qui demande aux boys dans une conversation de groupe s'ils ont des nouvelles de moi. Il a un mauvais pressentiment... Pascal est un peu mon 2e cerveau, c'est troublant, mais je l'accepte!


Je suis épuisé, il me semble n'avoir répondu à personne ce soir-là... Je vais me coucher pour être en forme pour l'appel du Dr. Turcotte le lendemain.


***


Driiiinngggg!


- M. Tremblay, j'ai vu les scans que vous avez fait à l'hôpital de Joliette hier et j'aimerais que vous veniez ici à Royal-Victoria pour faire des tests plus approfondis. En effet, il y a quelque chose d'étrange avec votre os et on veut en avoir le coeur net.


Une semaine plus tard, je fais ces fameux tests et rencontre le Dr. Turcotte. Il me raconte avoir plusieurs hypothèses pouvant expliquer ma fracture. Il m'en nomme quelques-unes, rien n'a l'air joyeux... Il me demande si je suis disponible en après-midi, il pourrait m'organiser un rendez-vous avec une autre collègue spécialisée, la Dr. Nikonova. Je la rencontre et on organise un autre rendez-vous pour faire une biopsie de ma moelle osseuse. C'est ce qui pourra valider les constats des tests précédemment réalisés.


Le 1er juin, soit deux semaines plus tard exactement après la fracture, Dr. Nikonova m'appelle et me dit qu'elle est maintenant certaine du diagnostic, même si elle n'a pas tous les résultats de la biopsie. Elle m'invite à venir la voir en après-midi avec quelqu'un d'important pour moi. Ouin, ça ne sent vraiment pas bon... Mais je dois admettre être prêt à tout. Je me sens assez serein là-dedans. Déjà, je me sens bien pris en charge par l'hôpital et bien entouré par mes proches. Je veux juste savoir et comprendre ce qui se passe. À ce moment-là, je me suis déjà fait à l'idée que la nouvelle n'allait pas être bonne. Je sais faire des liens entre les tests que j'ai faits, les endroits que j'ai visités pour faire ces tests et les titres des médecins spécialistes que j'ai rencontrés... Je ne veux pas être alarmiste, mais je veux encore moins porter de lunettes roses...


ree

(Crédit photo: Pixabay)


Cet après-midi-là, je suis donc tout à l'écoute de la Dr. Nikonova, avec mon calepin et mon stylo pour prendre des notes (j'ai toujours été un bon étudiant!).


- M. Tremblay, je n'ai pas une bonne nouvelle. Je suis désolée de vous annoncer que vous avez le myélome multiple. C'est une sorte de cancer du sang qui s'attaque aux os. Est-ce que ça vous dit quelque chose? Est-ce qu'il y a des antécédents de problème de sang dans votre famille?


Je regarde mes parents qui m'accompagnent.


- Non, on ne croit pas... On n'a jamais entendu de tels problèmes de santé.

- Ok. Parce que c'est rare de voir un jeune de votre âge développer ce type de cancer. Normalement, c'est un cancer qui se trouve chez les gens de 60-70 ans.


J'ai plusieurs douleurs depuis plus d'un an. Je m'étais déjà dit que mon corps agissait comme s'il était plus vieux qu'il l'est réellement. On me confirme que je suis vieux!


- M. Tremblay, vous comprenez donc que la fracture à l'humérus est directement reliée à ce cancer.

- Oui... J'imagine que mon mal de côtes et au bas du dos aussi...

- Effectivement. Il y a du cancer au sacrum, au sternum, aux côtes, autour de certaines vertèbres, et bien sûr, à l'humérus. Nous allons préparer ensemble un plan de traitement qui va inclure de la chimiothérapie. Je vais aussi vous faire rencontrer ma collègue Dr. Skamene qui va explorer avec vous l'option de faire de la radiothérapie.

- Ok merci... Est-ce que je vais en guérir?

- Oui, sans doute. Nos traitements fonctionnent bien. Vous pourrez être en rémission dans quelques mois. Par contre, c'est un type de cancer qui est très coriace. Il n'y a pas de traitement qui élimine complètement le cancer. Il reviendra, vous aurez une rechute... Sans doute dans 4-5-6 ans. On vous traitera encore. Et le cancer reviendra encore... À chaque fois, le délai entre vos rechutes sera plus court...


Ouuuufffff... J'étais prêt à tout, je ne me sens pas spécialement sous le choc, mais il reste que c'est toute une nouvelle. Je sens ma vie basculer. Je sens que tout ne sera plus jamais pareil. C'est déjà différent depuis ces deux semaines. Je ne peux pas cuisiner, je ne peux pas prendre ma douche tout seul, je ne peux pas aller à l'épicerie, je ne peux pas faire la vaisselle (bon, ça, ça me dérange pas!), etc. Mon autonomie est très réduite.


Je ne peux pas me permettre de suivre le processus de déconfinement, car je suis beaucoup plus sujet à attraper des virus et dans ma situation de personne immuno-supprimée en raison de la chimio, ce n'est pas une bonne idée. J'aurai déjà beaucoup à vivre dans les mois qui suivront sans vouloir ajouter la COVID ou n'importe quelle infection qui pourrait m'empêcher de suivre mes traitements.


Mais surtout, surtout, je sais de quoi je vais mourir. C'est très étrange à mon âge...


Mais bon, je l'ai dit plus haut, je me sens très bien soutenu. J'essaie de ne pas penser au futur, mon focus est sur chaque journée, qui est constamment différente en début de cette aventure. Je veux guérir, je suis prêt à suivre toutes les étapes qui me seront suggérées. Je suis rigoureux dans la prise de mes médicaments de chimiothérapie. Je ne manque aucun rendez-vous. Je vois mon entourage avec une distance physique et un masque. Je fais et ferai tout ce qu'il faut.


Mon corps me parle depuis trop longtemps, je ne veux plus l'ignorer. Je pensais que j'étais faible de ressentir des douleurs et de la fatigue depuis plus d'un an. Plus jamais je ne me négligerai : je ne suis pas faible, je suis malade.


***


Mon arrêt de travail a donc été prolongé. J'ai pris une dose de radiothérapie dans l'humérus. J'en suis maintenant à un troisième cycle de chimiothérapie.


Ça va mieux aujourd'hui, trois mois après le début de cette mésaventure. Le Dr. Turcotte m'a fait enlever mon attelle, mon humérus est réparé. Après deux cycles de chimio, la Dr. Nikonova me confirme que le cancer recule. On commence à se préparer pour la prochaine étape (je vous en reparlerai).


La chimio, le staff du Centre du cancer des Cèdres, mon entourage et moi, on pète la yeule à ce cancer. C'est un travail d'équipe. J'ai énormément de gratitude pour mon équipe. C'est important de ne jamais rester seul, de prendre tout le soutien possible. Surtout en vivant la plus grande épreuve de sa vie. Surtout en voyant sa vie basculer.


Prenez soin de vous, prenez soin de votre santé, physique ou mentale. Je vais sonner comme une matante au jour de l'An, mais quand on a la santé, on a tout. C'est cliché, mais c'est vrai. J'ai retenu la leçon cette fois-ci... Je suis très confortable sur mon nouveau matelas!





2 commentaires


Rachakna Ok
Rachakna Ok
20 août 2021

Lâche pas! Je sais que mon commentaire est basique et réchauffé, mais bien entouré tu accompliras beaucoup!

J'aime
Sébastien Tremblay
Sébastien Tremblay
21 août 2021
En réponse à

Merci! J'ai cette chance d'être bien entouré, c'est génial...

J'aime

©2020 par Du fond du coeur - Blogue de Sébastien Tremblay. Créé avec Wix.com

bottom of page